Édition GAFAM et édition savante : une bataille en cours ?

, par  Marcello Vitali-Rosati

Je suis né à la toute fin des années 1970. Je fais donc partie d’une génération qui a passé son enfance sans le web et qui l’a découvert petit à petit, en s’étonnant devant les possibilités qu’il offrait. Mon enfance, comme celle de toute ma génération ainsi que d’innombrables générations auparavant, a été marquée par la place presque unique du livre pour l’apprentissage. En une phrase : si tu veux savoir quelque chose, cherche-le dans un livre.

Cette espèce de tautologie était devenue une blague que l’on faisait souvent dans ma famille pour se moquer de mon père. Un jour, plein d’enthousiasme pour le jardin de notre nouvelle maison qui me donnait envie de construire quelque chose, je lui avais demandé : « Papa, sais-tu comment on construit une palissade ? » Mon père avait répondu : « Bien sûr ! » et ma mère, pour le provoquer : « ah oui ? Et comment ? » ; « On achète un livre ! » avait conclu mon père.

Cette espèce de tautologie était devenue une blague que l’on faisait souvent dans ma famille pour se moquer de mon père. Un jour, plein d’enthousiasme pour le jardin de notre nouvelle maison qui me donnait envie de construire quelque chose, je lui avais demandé : « Papa, sais-tu comment on construit une palissade ? » Mon père avait répondu : « Bien sûr ! » et ma mère, pour le provoquer : « ah oui ? Et comment ? » ; « On achète un livre ! » avait conclu mon père.

Cherche-le sur Google

Le réflexe qui consiste à chercher toute sorte de savoir dans les livres ne pourrait sembler plus lointain aujourd’hui. Si ma fille me demandait désormais comment construire une palissade, je lui répondrais évidemment : « Cherchons-le sur Google ». Et les chances qu’elle me pose un jour cette question sont assez minces : elle pourra tranquillement trouver la réponse toute seule, avant de me la poser.

« Just Google it ! » Ce changement entraîne une série d’implications très importantes : notre curiosité – à la fois notre façon de nous poser des questions et d’y répondre – n’est plus la même, les dispositifs d’autorité sont reconfigurés (papa en saura toujours moins que Google), de même que notre relation vis-à-vis de la valeur de l’information et du pouvoir de ceux qui la possèdent. Mais ce n’est pas de ces sujets que je veux m’occuper ici. Je voudrais plutôt me concentrer sur les types de connaissance qui circulent sur le web, pour essayer de les distinguer en deux macro-catégories.

Les deux voies de la diffusion de contenus

On peut identifier deux tendances contradictoires dans les manières de produire et de faire circuler des contenus sur le web : celle qui est typique des grandes multinationales du numérique – on pourrait l’appeler « édition GAFAM » en utilisant l’acronyme qui renvoie aux cinq géants Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, mais qui signifie par extension l’ensemble des grandes entreprises dominant le marché numérique – et celle des spécialistes, des professionnels de l’édition et des chercheurs – qu’on nommera ici « édition savante ».

Cette distinction est sûrement comparable à celle qui existait déjà avant le web entre différents types d’édition papier. Il y a toujours eu une différence, par exemple entre les livres savants, réservés à un nombre très limité de personnes, complexes et tirés en peu d’exemplaires, et l’édition généraliste, conçue pour s’adresser à un grand marché de non-spécialistes. Mais la polarité entre deux formes d’édition dans la circulation numérique a ses caractéristiques spécifiques, et il me semble important de les identifier et de les souligner, car elles impliquent une série d’enjeux politiques, sociaux et culturels dont nous ne sommes pas encore assez conscients.

Nous étions habitués à distinguer différentes formes de publication papier, à reconnaître leurs systèmes de distribution, leur apparence – même graphique – leurs lieux de consultation… Nous le sommes beaucoup moins dans le cas de l’édition numérique, dont les frontières sont moins familières et moins facilement traçables.


Photo : Cherche-le sur Google ? Jon Russell / Flickr, CC BY-SA

Voir en ligne : Lire l’intégralité de l’article sur le site The Conversation

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