Citoyen hackeur : Enjeux politiques des civic tech

Pour accroître la participation citoyenne et la réactivité politique, de nouvelles civic tech revendiquent aujourd’hui de « hacker » la démocratie. Au delà de la séduction qu’elles peuvent exercer, ces technologies peuvent-elles transformer la politique en profondeur ? Quel projet portent-elles ?

Le diagnostic est maintenant largement partagé : la démocratie, au moins dans sa forme représentative, serait « malade », à bout de souffle. Elle serait débordée par la défiance exprimée par des citoyens réfugiés dans l’abstention et prêts à se mobiliser dans la rue pour venir contester les décisions prises par des gouvernants en manque de légitimité [1]. De fait, rarement un malade n’aura vu autant de docteurs à son chevet : on ne compte plus les propositions de transformations institutionnelles, les réflexions théoriques pour réformer le fonctionnement de nos institutions [2]. Parmi celles-ci, un certain nombre misent sur la participation des citoyens pour redynamiser la vie publique et donner corps à un « nouvel esprit de la démocratie » [3]. Malgré d’indéniables acquis, l’institutionnalisation de la démocratie participative a donné des résultats relativement contrastés qui poussent acteurs et observateurs à s’accorder sur les limites du processus et sur sa faible capacité de transformation sociale [4]. L’offre de participation aurait largement tendance à « donner le change pour que rien ne change » et à « démocratiser les inégalités » au fur et à mesure de son développement en favorisant certains groupes sociaux au détriment d’autres [5].

Le dernier remède en date pour « mettre à jour » la démocratie serait donc les outils numériques [6]. La culture de l’expression publique qui caractérise le web, bouillonnante, plurielle et inclusive, est notamment observée avec attention par le monde de la participation qui de son côté peine souvent à mobiliser les citoyens. D’aucuns y voient une opportunité pour favoriser le pluralisme démocratique et rendre possible des échanges inclusifs à grande échelle [7]. Pour autant, cette proximité est-elle suffisante pour transformer radicalement le fonctionnement de la démocratie ? On parle beaucoup de « hacker » la démocratie, mais cela a-t-il un sens ? Cet article se propose de montrer que malgré les discours enthousiastes, non, en soi on ne peut pas véritablement transformer la démocratie et ses institutions par le seul biais des outils numériques, et que la question de l’équipement ne doit pas faire passer au second plan la réflexion sur la nature du projet politique embarqué par ces dispositifs (...)

Article de Clément Mabi, « Citoyen hackeur. Enjeux politiques des civic tech », La Vie des idées , 2 mai 2017. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Citoyen-hackeur.html

Voir en ligne : Lire l’article sur laviedesidees.fr

[1Pierre Rosanvallon, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris Seuil, 2008.

[2Voir le dernier ouvrage de Pierre Rosanvallon, Le bon gouvernement, Paris, Seuil, 2015, ou le rapport dirigé par Michel Winock et Claude Bartolone, Rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions – Refaire la démocratie.

[3Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie, Paris, Seuil, 2008.

[4On peut prendre l’exemple des difficultés du « dialogue environnemental » autour des projets d’aménagements comme l’illustre le cas de l’aéroport de Notre Dame des Landes.

[5Edward T. Walker (dir.), Democratizing Inequalities : Dilemmas of the New Public Participation, New York, NYU Press, 2015.

[6Voir le rapport produit par le think tank Renaissance Numérique, « La démocratie mise à jour ».

[7Voir sur ce point Laurence Monnoyer-Smith, Communication et délibération, Paris, Hermès, 2010 ; Stéphanie Wojcik, Fabienne Greffet, « Parler politique en ligne. Une revue des travaux français et anglo-saxons », Réseaux, Lavoisier, 2008, 4/2008 (150), p.19-50.

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